Les autres ne sont pas des gens comme nous

Un roman de Jean Marcel Erre est toujours un évènement ! Et cet ouvrage est, comme les autres, truculent. Un humour tout à tour mordant, pince-sans-rire, ironique, type Monty-Python (British nonsense humour)... Des jeux de mots et néologismes…

Quelques exemples :
Humour pince-sans-rire
"L’histoire d’amour de Pétronille et Barnabé a un point commun avec l’art contemporain : on se dit qu’il y a forcément quelque chose à comprendre là-dedans, mais quoi ?"
"Réputé sataniste et adepte de l’aviron"
Jeu de mots
"Contemporain ou comptant pour rien ?"
Néologisme (anglicisme) "contempteurs"

Des histoires aux chutes parfaites (mes préférées : celles de l'histoire d'Ousmane et de l'abbé Saint-Freu), des personnages ordinaires et extraordinaires à la fois, une réflexion sur notre monde (appropriation culturelle, imagination, handicap, humanité, différence, ridicule, monde de l'art contemporain (comme Michel Houellebecq l'a fait dans La Carte et le Territoire),...), tout est mis au service de l'humour.

J'ai également apprécié les indications de Julie, ses remarques, sa vision du monde décalée et piquante, ses notes littéraires…
Un exemple de l'humour acide de notre narratrice handicapée :
"Non, rassurez-vous : l’histoire de Valère n’est pas une belle histoire. Pas du tout."
Deux exemples de notes de notre narratrice sur les procédés littéraires qu'elle utilise avec cette citation d'Othello :
"la jalousie est un monstre aux yeux verts qui tourmente la proie dont il se nourrit (axiome de la narratrice : toujours s’arranger pour citer Shakespeare quand on écrit un bouquin)."
"Et le miracle du point de vue narratif omniscient va nous permettre de pénétrer son esprit…"

Évidemment, ce type d'humour ne pouvait pas me laisser indifférente, passionnée des Monty Python, de l'humour décapant de Michel Houellebecq, de l'humour britannique en général.

Eh bien, même si "faire rire est une entreprise difficile, dans laquelle on ne se lance pas sans risques", JM Erre excelle dans ce genre !

Quel bonheur de retrouver Julie, decouverte dans Qui a tué l'homme-homard. Bien sur contente aussi de retrouver le rythme qui m'avait tant plu dans ce titre.
Nous retrouvons aussi les autres personnages de l'auteur comme une fresque rassemblant la totalité de son oeuvre pour adulte (depuis il a sorti un titre pour ados).
Son humour est toujours aussi décalé et politiquement incorrect mais c'est pour cela que l'on aime tant ses livres.

Je suis une inconditionnelle des écrits de J.M. Erre depuis que j'ai découvert Le Mystère Sherlock. J'adore son style, son humour noir, ses propos acides et son intelligence.
Aussi c'est avec appétit que j'ai entamé Les autres ne sont pas des gens comme nous. Je n'ai pas été déçue du voyage : son nouveau roman est aussi drôle qu'aiguisé.
Julie, jeune femme paraplégique rencontrée dans Qui a tué l'homme-homard ?, écrit des histoires dans lesquelles ses personnages vivent des expériences incongrues, tragiques, drôles, terribles.
Le regard qu'elle pose sur ses contemporains ne manque pas de sel et si on rit souvent, on réfléchit aussi beaucoup.
J'ai eu grand plaisir à retrouver les personnages des précédents romans de J.M. Erre, notamment l'abbé Saint-Freu qui est de loin mon préféré.
Je me suis régalée du début à la fin et je suis un peu triste de quitter cette belle galerie de personnage.

Attention, les lecteurs qui n'ont pas le sens de l'humour et qui prennent tout au premier degré doivent fuir ce bouquin de toute urgence !

Les autres, ceux qui aiment l'humour noir, la dérision intelligente et le second degré se régaleront (bien frugalement toutefois) de ce petit dessert humoristique.

Soyons franc : il ne s'agit pas là d'une littérature propre à changer le monde.

Toutefois il porte une part d'humanité à la fois tendre et cocasse.

En choisissant de confier sa plume à une jeune femme en fauteuil roulant, lourdement handicapée, J.M. Erre accomplit un acte courageux : accepter le différence de l'autre.

C'est en substance le propos de ce livre, qui rappelons-le utilement est une œuvre d'humour. (J'ai lu un paquet de commentaires et d'avis qui m'ont donné à penser que tous les lecteurs n'avaient pas saisi cette nuance).

Déjà, je suis incapable de me rappeler tous les personnages de la galerie mais celui qui m'a le plus frappé (j'ai oublié son nom) est celui qui est monstrueux dans sa normalité. Quoi de plus accablant en effet que de se figer dans la norme sous tous rapports ?

Ce livre est un hommage aux marginaux de fait et non de choix, une ode à l'anormalité naturelle, une louange à la diversité.

J.M. Erre n'oublie pas de jouer souvent de l'autodérision, ni de faire des rappels bien sentis pour rappeler ses précédents écrits au bon souvenir du lecteur (acheteur). Un moyen tout à fait franc de rappeler que dans le petit monde de la littérature, le plus à même de promouvoir son œuvre est l'auteur lui-même, n'en déplaise aux jeunes auteurs qui idéalisent un monde de l'édition dans lequel c'est uniquement la ME qui se charge de la visibilité.

Une petite note en fin d'ouvrage précise que les personnages de Les autres ne sont pas des gens comme nous on commencé d'exister dans les pages de Fluide Glacial. Ceci explique sans doute cela.